Tournesols

Tournesols
Tournesols. (Odile Alliet) www.odile-alliet.com

Harold







HISTOIRE SANS QUEUE NI TÊTE

 





 

Est-ce déjà la fin de cette histoire?

Le petit Harold était en train de se noyer . Et, comble de l’horreur, il se noyait dans une mare de sang !

C’est déjà assez désagréable de se noyer, n’est-ce-pas ? Mais dans une mare de sang, c’est carrément dégoûtant.

 Représentez-vous la situation : Harold, un charmant petit monstre à trois têtes, tout jeune encore, avec la grâce de l’enfance, pataugeait dans le sang. 

Pour que vous vous fassiez une idée, voici sa photo de classe de CP, de l'année dernière. 


Or Harold déteste le sang. Il n’aime que trois choses.

Premièrement, le chocolat. Mais attention, il n’est pas difficile, sa maman lui a appris qu’il fallait manger de tout : donc il aime le chocolat sous TOUTES ses formes. La crème au chocolat, la mousse au chocolat, les éclairs au chocolat, le chocolat aux noisettes, et j’en oublie, c’est sûr. Même il aime aussi le chocolat blanc, ce qui prouve bien qu’il a les idées larges. C’est sa tête de gauche qui adore le chocolat.

Deuxièmement ! Sa tête de droite aime TOUS les gâteaux : les biscuits, les macarons, les gâteaux aux noisettes, les roulés à la confiture les gâteaux au chocolat ….Aïe ! Problème ! Les gâteaux au chocolat, c’est du gâteau ou c’est du chocolat ? Qui le mange ? La tête de gauche ou la tête de droite ? 

Le pauvre Harold a toujours des difficultés le jour où il y a du gâteau au chocolat, car ses deux têtes se disputent :

 « C’est à moi ! »

« Non, c’est pour moi »

Il est très difficile d’avoir deux têtes à soi qui commencent à se regarder d’un sale œil.

 « Harold, parmi tes têtes, tu as une tête qui ne me revient pas » grogne la tête de gauche »  

« Harold ! Je t’ai dit cent fois que tu avais une tête à claques ! » grommelle la tête de droite.

Quelle situation pénible !

Et la tête du milieu, me direz-vous ? J’y viens, j’y viens, un peu de patience. C’est le troisièmement.

Et la queue, alors ?

Ah ! la queue ! Parlons-en de la queue !

Harold a deux queues, enfin, trois plutôt.

Premièrement, une queue qui en vaut deux. Cette queue se divise en deux : il y a un bout de queue qui chatouille et un bout de queue qui tape et gratte. C’est une queue à deux têtes, en somme.

La tête de la queue qui chatouille ressemble à une belle queue de chat angora. C’est tout doux, c’est plein de poils, ça se balance mollement, ça vous caresse dans le cou, ça chatouille bien sûr, et même ça peut faire éternuer.




 La tête de la queue qui gratte et qui bat est verte et ressemble à une queue de crocodile. Allez donc chatouiller les copains avec une queue de crocodile !  C’est râpeux, c’est rêche, ça fouette l’eau violemment.

Harold n’est pas un petit monstre agressif et ne s’en sert guère, mais malgré tout pour taper les tapis, battre la chantilly et gratter les carottes, ça peut servir.

Cela dit les deux bouts de la queue numéro un ne s’entendent pas très bien, il faut l’admettre. Et ça ne facilite pas la vie de Harold qui a déjà bien du mal avec ses deux têtes.

Bon, comptons sur nos doigts pour ne pas nous y perdre, nous avons dit une queue qui en vaut deux  et une encore, ça en fait trois en tout. Vous suivez ?

La troisième, (ou la deuxième si on compte pour une la première qui en vaut deux), est une queue « merveilleuse et pratique »®, pleine de ressources et d’utilité : non seulement elle gratouille, ce qui est bien pratique quand on a des puces, mais encore elle peut servir d’éventail, de dessous de plat, d’ouvre-bouteille, de ramasse-miettes et de bien d’autres choses encore. Harold est absolument ravi de cette queue-là. C’est sa queue préférée. Et avec ça, un caractère en or ! C’est elle qui négocie les partages de gâteau entre la tête numéro un et la tête numéro deux en se repliant et se mettant entre les deux têtes (un tête-à-queue, en quelque sorte), c’est elle qui donne une carotte à gratter à la queue qui râpe pour l’occuper quand elle devient trop grognon et qui se met donc en quatre pour ramener la paix. (En quatre ? On en est à combien alors ?)



Mais où ai-je donc la tête ? Il nous manque une tête : celle qui porte le numéro trois.

Celle-là s’est spécialisée dans la consommation de la glace à la framboise et des pommes de terre frites. Elle mange aussi des pâtes, à l’occasion, parce que tout le monde sait qu’il faut manger é-qui-li-bré. Cette tête-là n’est pas contrariante, elle feint d’ignorer les deux autres têtes et leurs disputes continuelles.



De temps en temps elle se contente de dire d’un air profondément endormi et ennuyé, en croquant une frite trempée dans sa glace à la framboise :




« Arrêtez de faire la mauvaise tête, vous me faites la tête comme une citrouille ».




Et, de fait, l’excès de bruit la fait toujours gonfler, ce qui nuit à la délicate beauté naturelle de Harold.

Reprenons donc cette histoire sans nous laisser dérouter par ces tête-à-queue sans queue ni tête.

Par ailleurs, Harold n’a pas seulement des têtes et des queues, il est tout à fait normal (pour un monstre, j’entends). Il a des bras, comme vous et moi, il en a trois, plutôt dodus, il a des jambes (quatre, c’est bien pour l’équilibre), de ravissantes petites ailes dont il est très fier et qui sont purement décoratives, un parapluie et des roulettes relevables pour aller plus vite.

OLAF
Donc, jusqu’à ce jour, hormis les petites querelles de têtes et les incompatibilités de queues, tout allait très bien, ou à peu près. Harold a, comme beaucoup de monstres, un papa et une maman, et un grand frère qui s’appelle OLAF et qui est normalement embêtant pour un grand frère.




  Ce matin-là, ....

Ce matin là, Harold était joyeusement parti faire les courses pour toutes les têtes des membres de sa famille. Et ça faisait beaucoup, à raison de trois têtes par personne.









 Il chantonnait  en sautant à cloche-patte sur la route et en poussant tranquillement son chariot à provisions, lorsque soudain il fut attaqué par un gigantesque animal venu d’on ne sait où, de la montagne voisine sans doute. Une bête horrible, hirsute, aux poils hérissés, bardée de griffes acérées, avec des billes vertes phosphorescentes à la place des yeux, une gueule, une seule pour faire encore plus peur, grande ouverte sur deux rangées de crocs épouvantablement blancs, enfin, une bête de cauchemar.





Le pauvre petit Harold crut sa dernière heure arrivée.


Il abaissa ses roulettes et se mit à patiner à toute vitesse sur la route en cherchant désespérément à droite et à gauche un endroit, un recoin, un terrier, une caverne pour se cacher.


La bête bondissait derrière lui….






Il courait, roulait, glissait, essayait de voler, de toutes ses forces.



Soudain plus de buissons ni d’arbres du côté droit, un immense terre-plein où régnait une activité fébrile. On allait, on venait, on  criait, on s’agitait. Harold n’avait pas le temps d’observer ce qui se passait.

Pas le temps de réfléchir.

Pas le temps de gronder la queue grattante et tapante qui vociférait à l’adresse de son poursuivant des insultes et des provocations.











Il obliqua brusquement vers la droite. Peut-être allait-il se précipiter vers un danger plus grand encore que celui qui le menaçait pour l’instant et dont il sentait le souffle chaud sur ses queues ?

Harold, donc, talonné par la bête, effectua un virage sur l’aile, (son aile droite), traversa la cour en louvoyant entre les pavés et, au moment où la patte garnie de griffes en poignard allait s’abattre sur lui, prit son élan, ses pattes à son cou, fit tournoyer ses ailettes, réussit un bond prodigieux et retomba au milieu d’une large cuvette remplie d’un liquide rouge et visqueux…du sang ! Pouah !

A ce moment une voix de tonnerre retentit au dessus de sa tête :

« Minet, ne touche pas à ça. C’est pour faire le boudin. Sauve-toi de là, le chat ! »

Et une géante, dont la tête grattait le ventre des nuages, se pencha. Apparemment sans crainte et sans répulsion pour l’horrible bête, elle l’attrapa par la peau du cou et alla le déposer dans le gigantesque bâtiment qui s’élevait au loin et dont elle referma ensuite la lourde porte.
Harold était débarrassé pour l’instant du danger poilu et griffu.

Et voilà où nous en étions au début de cette histoire.

Mais que faire pour sortir de ce bain dégoûtant ?


 

Dans le bain.



Harold s’agitait de toutes ses forces.

Il serait tombé dans la crème, il aurait peut-être eu une chance de la faire tourner en beurre  en battant des quatre pattes, des trois bras, des trois queues et même des ailes.


Mais là, pas question !

Pour comble de malheur, Harold ne savait pas encore très bien nager. Il était bien allé à la piscine avec son école de monstres mais ça ne suffisait pas. Ses têtes essayaient tant bien que mal de ne pas boire la tasse tandis que ses queues se transformaient en hélice, ce qui le propulsait en avant. Mais dès qu’il atteignait le bord de la cuvette, ses pattes glissaient en griffant le bord émaillé et il retombait dans un gros splash .

Le petit Harold était-il perdu ?

Avait-il échappé à la Grande Bête Poilue pour finir noyé dans une mare de sang ?

Quelle horreur !


Le sol se mit soudain à trembler.

Harold tourna sa tête numéro un en arrière. Un géant s’approchait à grands pas.

Il se pencha vers Harold et hurla :

« T’es prête pour le boudin, Berthe ? T’as ton boyau ?T’as fait ton mélange, l’eau est sur le feu ? Oh, zut, il y a déjà une bestiole dedans. »

Et il plongea deux doigts gigantesques dans le liquide, recueillit Harold sans prendre la peine d’y regarder de plus près, ni de l’écraser, et le jeta au loin.




Le pauvre petit se retrouva virevoltant dans l’air. La tête numéro un fit un nœud avec la tête numéro deux. La queue en poil de chat se hérissa comme un rince-bouteilles. La queue de crocodile battit l’air avec fureur et la troisième queue ouvrit son parapluie. Harold atterrit brutalement sur une botte de paille. Vite vite, il se glissa sous les brins et s’assit pour compter ses têtes et ses queues et retrouver ses esprits. Ce qui n’est déjà pas facile avec une seule tête, mais avec trois têtes qui pensent des choses différentes en même temps, imaginez un peu !

Hors d'eau.

Harold, assis sur son ballot de paille, comptait ses têtes et ses queues. Après tout ce qui lui était arrivé, il n’avait plus toutes ses têtes à lui. Pour tout dire, il avait les têtes à l’envers.




 Après quelques minutes de repos, il décida de faire une petite toilette. Il ordonna à ses têtes de le débarrasser à coups de langue de la pellicule rouge qui l’engluait, collait ses ailes, maculait ses écailles et adhérait à ses poils.

Les têtes firent une drôle de tête en entendant ce qu’Harold demandait. Elles firent même carrément la tête. Puis quand il leur eût expliqué que, premièrement, il fallait sortir de là, et deuxièmement il voulait rentrer à la maison et que là seulement il pourrait être question d’un dîner de gâteau + chocolat+ glace à la framboise garnie de frites, elles se décidèrent à faire un brin de toilette et à lécher Harold des têtes aux pieds en passant par les queues, les ailes et les roulettes. Mais il est clair qu’elles n’étaient pas de bonne humeur.

La tête numéro un était rouge de colère.

La tête numéro deux était jaune de dégoût..

La tête numéro trois était verte de rage



Enfin, quand tout fut nettoyé et que Harold eut retrouvé figure monstrueuse et récupéré toute sa grâce naturelle, il décida de tenter une sortie.

Il se glissa hors de la paille et rejoignit au plus vite le bord des murs, se faufilant derrière les cailloux et les brins d’herbe et  guettant la possible arrivée du monstre poilu.

Pas de monstre poilu à l’horizon.

Le champ était libre !

Harold fonça coudes au corps et se retrouva sur la route.

Là, il entreprit de rebrousser chemin pour rentrer chez lui. Tant pis pour les courses. Tant pis pour le chariot qui avait disparu on ne savait où.

Mais pendant ce temps là, il réfléchissait de ses trois têtes à la fois.

En regardant bien, il trouvait le paysage un peu étrange. Il ne reconnaissait pas le chemin qu’il prenait d’habitude pour aller à l’école ou à la piscine ou bien faire les courses.

Que s’était-il passé ? S’était-il égaré ? Que voulez-vous, quand on a trois têtes, on en a souvent une ailleurs et il est facile de perdre la tête et son chemin par-dessus le marché.

Près d’un gros arbre, la tête numéro un se rappela être passée par là. Même, disait-elle, c’est ici que Harold était sorti d’un trou entre les racines. La tête numéro répondit qu’en effet ça lui rappelait quelque chose.

Harold s’approcha donc et distingua, entre deux racines, l’entrée d’une galerie.

« Mais où donc avais-je les têtes, s’exclama Harold , je me suis certainement trompé dans le passage souterrain. J’ai pris l’embranchement interdit dont me parle toujours mon oncle Archibald et je suis arrivé dans le monde effrayant des humains et des chats. Je croyais que ça n’existait pas et que c’était juste pour faire peur aux petits monstres. Vite, rentrons chez nous ! »

Et sans plus attendre, Harold se jeta les têtes les premières dans la galerie et se retrouva bientôt en sécurité au pays des monstres.





 


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